21 avril 2020

Voyage immobile


Levé 8h. Des oiseaux se mettent à chanter depuis ma table de nuit made in Slovéquie. Les oiseaux viennent un peu de Chine et de France et chantent presque comme ceux du jardin d’avant. J’enfile mes chaussons de Chine et mon sweat de Chine avant de descendre un escalier d’un bois de provenance inconnue. J’ouvre un tiroir suédois, attrape un mug chinois. Je verse de l’eau de la ville dans une bouilloire rouge et chinoise. J’appuie sur son bouton qui devient bleu. Et j’attends la tête dans le [destination bien connue mais que le surmoi censure] que l’eau, dépolluée des boues d’une ville en arrêt soudain, chauffe. Le bouton fait toc. Je retire la bouilloire de son soc, et fait couler l’eau chaude sur un thé de Chine. Je n’ai pas envie de voyager en Chine. J’en ai une image floue faite de néon et d’entrepôt triste. J’y vois de longues rues clignotantes de publicité, de boutiques aux éclairages blanc et scintillants et de boutiques sombre regorgeants d’objets. Oui, j’ai vu tout ça dans le quartier du Sentier ! Je sais comme est la Chine !

Bon allons, dans la salle à manger au décor suédois hétéroclite, fait de meubles récents, de déstockages et de bonnes affaires sur le bon coin. Une exception : ces deux chaises viennent d’une ressourcerie directement depuis les années 60, rouille comprise. Les jours de télétravail, je navigue jusqu’au bureau polonais, pour y ouvrir un ordinateur chinois. Oui, parce que pour nous autres, les européens français, tout parait fabriquer en Chine mais, au fond, on n’en sait rien, on ne nous dit rien. Pourtant tout le monde sait que l’électronique et le textile sont fait en Chine, le télé-conseil au Maroc, les meubles dans un pays glacial plaqué de lambris de pin clair et la main d’œuvre du bâtiment vient des pays de l’Est. 

Bien télétravaillons depuis ma salle à manger lilloise avec un soleil de Marseille. Ah ? Vous ne saviez pas que le soleil était fabriqué dans la ville phocéenne et importé en haut de France par montgolfière ? On ne nous dit pas tout ! C’est comme ce virus, là, il vient de Chine, là, par conteneurs directement importés de laboratoire secret où l’on fait frire des pangolins sous la lune, dans de grands chaudrons numériques. 

Alors que, ma bonne dame, les livres, vous savez d’où ils viennent les livres ? De vrais pays. Je peux vous le dire, j’en ai dans ma bibliothèque. Même nos ministres, là, ils disent que les libraires ce sont des héros privés de sacrifice pour faire venir la culture à tous (mais pas trop à la banlieue du 93, là-bas, les gens sont des irresponsables qui veulent survivre en allant au marché et faire travailler au noir, alors qu’ils trafiquent les aides sociales dans des logements qu’ils payent même pas. Pensez donc ! Pour ces gens-là, ils ont pas les même besoins que nous, ils n’ont pas de bibliothèques à caser dans le salon, ils sont très adaptables, ils sont capables de vivre à sept dans un appart fait pour trois personnes). Dans ma bibliothèque, il y a des livres de vrais pays cultivés : l’Amérique, le Japon, la France, et la Belgique (enfin ceux qui causent la France pas les autres, là, qui éructent un truc haché). 

Quoi ? Que vois-je ? Qui a mis ce livre dans ma bibliothèque ? « La place de la parole noire » ?

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Atelier d'écriture : voyage immobile dans son logement