Bien cher toi,
Dans ta dernière lettre, tu me
demandais ce qu’était l’amour. Étaient-ce ces battements de ta peau quand tu
penses à elle ? Étaient-ce tes pensées qui s’enfuient vers lui ?
Était-ce ce garçon en primaire qui faisait rougir tes joues ? Ou les seins
de la voisine qui font palpiter tes entrailles ? Ou les conversations
passionnées au fond d’un bar autour d’une bière dont vous partagiez le
secret ? Ou l’idée de fonder une famille dans une belle maison remplie
d’enfants ? L’amour est-il un homme ou une femme ? Une
personnalité ? Un regard ? Un corps émouvant ?
Comme tu t’en doutes, nous avons
déjà tant discuté, je n’ai aucune réponse à tes questions. Je n’y connais rien
en amour. Depuis que je suis jeune, j’essaye de comprendre le monde en le
regardant tourner. Dans les livres, j’ai cherché les réponses aux questions
qu’esquivaient les adultes. Ils mettaient des grands silences autour de leurs
doutes. Alors, j’ai tenté de trouver la meilleure façon de vivre , au cœur de
la vie des autres. J’en ai fait mon métier et aujourd’hui les gens racontent me
leur intime à l’oreille. Mais je ne sais toujours pas répondre à ta question.
Ni à la mienne. Qu’est-ce que l’amour ?
Alors, soit on ouvre un gros
manuel de philo, soit on continue ensemble la réflexion que tu as initiée. Ou bien,
je pourrais te dire combien je t’aime. C’est une bonne idée. C’est bien plus
facile pour moi de l’écrire que de le dire. On ne disait pas ces choses-là dans
ma famille. On s’aimait de manière bien étrange comme dans beaucoup de familles
d’après ce que j’ai pu découvrir. Oui je t’aime, je tiens à toi, à ta présence
quand nous nous voyons. J’aime nos débats. J’aime m’ennuyer à tes côtés, j’aime
ta passion. Je contemple tes gestes précis qui connaissent leur chemin.
J’écoute avec bonheur quand tu parles de ce qui t’anime même si je ne comprends
pas l’exact détail de tes mots. J’aimerais parfois que tu me dises plus ce que
tu ressens. J’aime quand nous partageons nos séries préférées ou quand nous
refaisons le monde avec un point de vue différent. Tu sais aussi accueillir
sans jugements mes fragilités. Tu sais regarder mes larmes couler. Tu appris,
que parfois, tu ne pouvais rien faire pour moi, si ce n’est être là. Tu es une
belle âme. Merci pour cela.
Et nos autres amours ? Nous
avons parfois discuté du fait de hiérarchiser ou non, nos amours. Est-que
l’amour que tu portes à ta mère est plus important que celui que tu portes à
ton meilleur ami ? La langue française
nous apporte une piste : le mot amour y recouvre toutes sortes de réalité.
Nous ne sommes pas obligé de choisir entre l’amour familial, celui de l’amitié
ou celui du désir. Nous n’avons pas découpé l’amour comme le faisait les grecs
anciens. Tous ces amours sont aussi importants dans nos vies, n’est-ce
pas ? En tout cas, pour ma part je le crois. J’ai beaucoup d’amours dans
ma vie, et me refuse d’en faire une hiérarchie. La seule chose que je ne peux
multiplier est le temps. Mais ce n’est pas parce que je partage ma maison avec
une personne, que je veux me refuser de voir ce couple d’amis, ni cet amant du
passé, ni cette compagne-amie (je ne sais pas définir notre relation), ni mes
enfants, ni cet ami avec qui je flirte trois fois l’an, qui fabrique des
étagères supplémentaires pour ma bibliothèque et avec qui j’échange des
nouvelles graves ou futiles. En t’écrivant, je me rends compte que ce n’est pas
tant l’amour qui compte pour moi mais la qualité des relations que j’entretiens
avec des personnes que j’aime. Voilà, ma réflexion du jour.
Au retour de cette lettre,
j’aimerais lire ton point sur la question. Et peut-être entendrais-je de vive
voix ce que tu m’as écrit, si nous sortons un jour de ce confinement que nous
impose la pandémie ?
Je t’embrasse
***
Consigne de l'atelier d'écriture : écrire une lettre d'amour.