Rentrer, pourquoi rentrer,
toujours rentrer chez nous, le même couloir, le même immeuble, les mêmes voisins
qui scrutent nos fait et gestes, œil de judas par l’entrebâillement de leur
vie, je ne veux pas ni la moquette, ni l’ascenseur qui clignote, monte et
descend, tous les jours, je fais ça tous les jours. Là c’était semblant de
sortir, semblant de rentrer parce que c’est chez nous, c’est à deux, on est
collé pour la vie à deux, c’est ainsi pour tous les jours, descend et monte, c’était
le soir de sortir alors j’ai mis mes collants bizarres -moi je les aime bien- ceux
que les autres trouvent bizarres alors que je suis tellement normale, si
normale que dans la rue tu m’oublies en me croisant, tu oublies mes collants et
moi j’oublie la moquette du couloir, mais c’est lui que je voudrais oublier, lui
qui m’aime normale, qui voudrait que je sois encore un peu plus normale avec des collants comme il faut et une robe pas trop courte mais je dois être jolie
et l’exciter et lui faire des papouilles dans la chambre avec un dessus de lit
blanc cassé. J’ai tout fait bien, le lit avec un dessus de lit en acrylique,
une cuisine et une salle de bain avec un mari dedans. Il met des cravates rouges,
il dit que ça fait original et il veut une table bien dressée avec des verres
en cristal, une nappe et une carafe et du vin carafé c’est comme ça qu’il faut
faire, je dois prendre soin de lui, de son intérieur et de ses vins. Il est
gentil et banal et gentil, il paye ses PV mais il n’en a jamais, il est un bon cadre
employé dans une bonne boite comme il dit. Il est n’est pas parfait, il dit,
parfois il traine à la machine à café mais il est gentil et banal et normal
toute sa putain de vie. Et parfois je ne veux pas alors il me force un peu, en
disant qu’il est gentil, il mérite bien ça, il me traite bien, il ne me frappe
pas, il n’élève pas la voix, il est un type bien pas comme les gros tocards ou
les grands malades mentaux machos, c’est un type bien avec une cravate rouge un
peu originale mais il est gentil lui, je ne pourrais pas être normale pour une
fois, les couples font ça dans leur lit -en enlevant le couvre-lit- après une
soirée à l’extérieur de leur appartement, c’est normal je suis un homme après
tout, les hommes ont des besoins c’est normal alors je le laisse faire, je pleure,
il ne voit pas les larmes que l’oreiller absorbe, je fais la marionnette de
chiffon, je ne veux pas, je fais semblant, mon corps de chiffon, il manipule,
il veut mettre son sexe, ma volonté de chiffon parce que c’est normal les
hommes ont des besoins
Alors
Un jour
Dans la salle de bain
Une dernière fois prendre soin de
lui
L’embaumer
On me traitera d’hystérique. Puis
la vie redevient normale, ma moquette, le couloir, la cuisine, la table
dressée, la poupée de chiffon, le ramener de ses ivresses, prendre soin de sa
cravate rouge.
Alors
Un jour
L’étrangler
Au petit déjeuner
On me traitera de bizarre,
sauvage. Puis le plafond redevient normal, plat, la moquette, le plancher qui grince,
le lit qui grince et moi qui ne veut pas.