26 février 2020

Minute de silence


Selon toutes les apparences, il ne fera pas de vieux os. Tic tac tic. Il le savait, c’est la malédiction. Son père, et le père de son père, et le père de son père avant lui -tel Boby Watson, le cousin de la tante de Boby Watson- ses pères, donc, tous morts à la même date, le jour de leur 33ème anniversaire, à la même heure 13h33. Oh ! Cette histoire, il ne la racontait à personne et surtout pas à Philibert, son amoureux. Il l’aurait pris pour un fou. Il ne fera pas de vieux os, il le savait. C’est pourquoi chaque jour à 13h33, il faisait une minute de silence en mémoire de lui-même. S’il avait commencé ces minutes de silence à sa naissance, il aurait passé 12045 minutes à se taire. Lors de ces temps morts, pour ne pas s’ennuyer, il composait vers, rimes et sonnets

Oh secondes féroces !
Pourquoi m’occirent
Et déclencher mes ires
Vous n’êtes que de sales rosses !

Ok, il vous l’accorde. Il n’était pas un grand poète. Il stoppa ses essais et il prit une grande décision. Il allait demander Philibert en mariage. Quel rapport avec la choucroute, me direz-vous ? Eh bien aucun ! Quand vous connaissez l’heure et le jour de votre mort, il faut savoir trancher dans le lard. On appelle ça : crise existentielle. Le lendemain, il courut acheter de quoi seller leur alliance éternelle. Ni une ni deux, il monta quatre à quatre les escaliers de leur maison, la bague au doigt. Il ouvrit la porte du bureau de Philibert avec grand fracas. Il posa genoux à terre, pris une grande respiration et… 13h33 dit sa montre. (Eh oui, il avait bidouillé un ingénieux système de voix artificielle sur sa montre. Il ne fallait, en aucun cas, rater la minute fatidique). Pris de court, au moment où il allait prononcer la phrase qui allait faire basculer leur destin, il dû rester bouche cousue face à un Philibert tout étonné de cette entrée tonitruante et silencieuse. Tic tac tic. La minute se passe. Philibert se lève, cligne des cils et s’apprête à faire volte-face. Son amoureux est-t-il devenu fou ? (Parenthèse : volte-face n’a rien à voir avec Voldemort. Fin de la parenthèse). Tic tac tic. « Philibert ! Veux-tu m’épouser ? ». Le silence qui suivit cette déclaration dura une minute ni plus ni moins. Mais pour l’homme éperdu, cet intermède dura une éternité, celle-là même qui déboule lors de notre arrivée en enfer.

Philibert monta sur une chaise, attrapa un carton posé au-dessus de l’armoire, reposa pied-à-terre, le carton entre ses bras. (Je laisse le lecteur/auditeur bien comprendre que l’opération qui consiste à descendre d’une chaise, sans pouvoir utiliser ses mains et à la fois un exploit et une scène ridicule). Quoi qu’il en soit, Philibert ouvrit le carton et en sortit un haut de forme guindé qu’il plaça sur sa tête. « Alea jacta est ! » vocifère l’amoureux chapeauté. Son compagnon désarçonné lui répondit par un long silence qui dura une minute, ni plus ni moins. Le héros de cette histoire comprit qu’il ajoutait beaucoup trop de minutes de silence à sa courte vie dont l’échéance se rapprochait à grand pas. Saisit d’une inspiration, il répondit « Ite missa est ».

Avouez qu’au stade de ce récit, vous ne connaissez ni le nom du protagoniste ni sa fin tragique. Vous ne savez pas non plus, si le Boby Watson dont nous avons parlé au début est le Boby Watson qui est mort il y a deux ans et dont l’enterrement à eu lieu il y a un an et demi, ou si nous parlions de Boby Watson, sa femme. Sachez seulement que Philibert s’est marié, son haut-de-forme à la main, qu’une cantatrice chauve étaient l’invitée d’honneur et qu’ils firent une minute de silence pour célébrer l’évènement. 

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Atelier d'écriture : mettre des expressions de la langue française, des mots composés, deux expressions latines. Consigne données au fur et à mesure de l'écriture