17 février 2015

Une place pour chaque mouette


Il est banquier, il vend des actions à ses clients, il les conseille, il gère leur patrimoine. Il a une petite vie bien rangée. C’est bien une vie où chacun est à sa place. La semaine à Nantes, le soir à Vertou et le week-end à Pornichet. Il y a sa femme à la campagne et sa maitresse à la ville. Il a pu s‘acheter une voiture. C’est rare une voiture. Il sait qu’il est un peu riche. Juste assez riche pour se payer des souvenirs. C’est bien le bord de la mer. Le vent est frais. La chaise longue, c’est reposant même si c’est compliqué de la mettre en place. Une fois sur deux, il se pince les doigts. C’est dommage qu’il ait gardé son costume et sa cravate. Mais aujourd’hui il avait envie d’escapade. Quitter le bureau, les papiers accumulés, les clients mécontents et les patrons qui veulent investir. Investir, investir cette drôle d’idée. Ils feraient mieux de placer leurs économies. C’est moins risqué. J’ai bien fait  de devenir banquier et de placer mes actions dans la compagnie de chemin de fer. Ah oui, il a eu le nez creux, ce jour-là ! Il en a gagné des clients avec cette idée. 

C’est marrant pourquoi je dis « il » en parlant de moi ? Je ne sais pas pourquoi les gens raffolent tant des mouettes, ça crie les mouettes, ça fait du guano partout, les mouettes. Ce journal, ces mauvaises nouvelles, pourquoi l’ais-je emporté ? Le cours de la bourse a baissé aujourd’hui. Comment va-t-il faire ? Comment dire à ses clients qu’ils sont prêts d’être ruiné ? Aucun moyen, ou alors il faudrait poster un télégraphe d’urgence. Et la poste est loin. Et il n’a plus l’habitude, c’est sa secrétaire qui fait le travail d’habitude. Ce que je veux , c’est racheter la maison de vacances de ma mère. Je veux retourner au bord de l’eau. Je veux un bateau. Oui c’est bien ça un bateau. Avec tout cet argent, je pourrais reprendre la voile, emmener ma femme. Ou, elle, ma douce maitresse. Ou les deux. Oh, oui c’est ça le rêve : qu’elles s’entendent toutes les deux. Qu’elles s’aiment.
 
Le voilier trace sa route. C’est un petit voilier, un à sa taille. Cela fait longtemps qu’il n’a pas mené de voilier, mais il se sent rajeunir à la tête de cet équipage. Ils obéissent comme les employées de la banque. La mer c’est risquée. Oh, il n’ira que là où il connait : faire le tour du golfe du Morbihan, le golfe il le connait bien. Par cœur même. Là, face à lui, elle, magnifique, si belle. Assise sur un rocher gris, elle porte son chapeau cloche et sa longue jupe orangée, ou marron. Il ne saurait pas le dire. C’est énervant, il aime la précision. Il écarquille les yeux pour mieux voir, il ne voit que le ciel et du blanc cotonneux.

Garde les yeux fermés pour voir ta belle. Garde les yeux fermés. C’est ta femme, tu reconnais son sourire et ses yeux doux. Mais les jambes, c’est le galbe d’elle. Ce sont ses jambes à elle et ses talons. Elle est assise les mains sous les genoux, et avec négligence, elle laisse les pans de sa jupe découvrir ses cuisses. Il est à côté d’elle. Il va poser la main sur sa peau douce quand Monsieur Duchemin veut ses titres, tout de suite ! Il les réclame en hurlant et elle lui sourit. Ils sont dans la chambre. Une belle chambre avec vue sur la mer. Il entend les vagues. Il veut lui ôter son chapeau et c’est sa poitrine qui apparait. Le vent se lève, les emporte, elle est sa femme. Il veut la voir mieux et quand il écarquille les yeux, il voit le bleu du ciel et le blanc des nuages. Il veut la voir de plus près, il fait border l’écoute pour prendre à la vague contre, il veut la voir, il fait choquer et l’eau surgit dans le bateau. Je suis un marin d’eau douce ! Je suis un raté. J’ai les pieds mouillés, les marins ne mouillent que dans les critiques. Il ouvre les yeux. Le ciel est bleu, les nuages blancs cotonneux. Où suis-je ?

Mes chaussures ! Mes nouvelles chaussures que j’ai faites venir de Paris à prix d’or. Je suis stupide ! M’endormir et me laisser prendre par la marée ! J’aurais dû rester au bureau, faire l’offre à Monsieur Durand, et demander à la secrétaire d’envoyer le télégraphe à mes clients. Et si je me mouillais pour de bon ?

***
Monologue d'après une photo. Écrit en trois quart d'heure.

Artefact



Port à cath
Artefact
Tu es revenu dans ma vie au détour d’un texte
Je t’ai vu, je t’ai lu, je t’ai reconnu
J’avais oublié jusqu’à ton nom.
14 ans, pensez-vous, c’est assez long.
Des mots de cet autre blessé, tu as jailli de mon côté. 
J’avais eu l’audace de croire que tu y étais enfoui, à tout jamais.
Tu m’as sauté à la mémoire, sangsue négligée.
Je te croyais vaincu, annihilé, disparu.

Port à cath, tu n’as pas de définition dans le dico.
Seul les initiés te connaissent par ton nom : ceux qui t’imposent et te posent; ceux qui te reçoivent et en bavent.
Seuls les initiés lisent ta trace sur ma peau, signe de reconnaissance entre ceux qui savent.
Je t’avais oublié dans les méandres de mon cortex. Toi, tu ne m’as pas oublié.

Putain de port à cath, tu étais enfui. Même ton nom s’était effacé de ma mémoire. Je te croyais aux rebuts des déchets hospitaliers, recyclé, décontaminé. Dans les conversations, où l’on ose parler de « ça », ton empreinte permet de dire la maladie guérie. Je dis mon  deuil, voie rocailleuse qui serpente  du déni à une présence guérie, discrète et paisible. J'écoute la souffrance indicible des autres chauves.
Même ta cicatrice ne me faisait plus souffrir. A peine sentais-je, les jours froids et pluvieux, ton imperceptible gravure.
Ton utilité n’était plus, ton nom n’était plus. Je te nommais chambre avec une membrane.

Putain de port à cath, tu hantes mon écriture tandis qu'elle voudrait se tourner vers l'avenir, qu'elle voudrait se perdre dans les mots savants annonciateur d’une nouvelle tranche de ma vie. Tu inauguras, toi aussi, une nouvelle tranche de  vie, mais je ne t’avais rien demandé. Rien. Rien du tout.

Putain de port à cath, tu es dur
Dur sous ma peau
Dur sous ma sensibilité
Dur encore sous les années de guérison
Dur encore pour d'autres
Putain de port à cath, tu  fais mal au cœur.

Je t’ai porté comme bijoux de soumission à la maladie
Je t’ai porté comme chambre de passage entre la vie et la mort
Je t’ai porté comme espérance de la victoire
Je porte ton empreinte sur ma peau comme symbole de notre victoire sur la vie.
Je porte ton empreinte,  artefact, pour laisser s’écouler les mots de ceux qui te portent encore.

Marie-Moi

Café de langue d’hôte
Café enfoui à cœurs
Bonheur

Blanc au cocon épais
Blanc aux sucs épais
Suspendu

Marie-moi
Les si en bouteilles
Marie-moi
Les si en sourires
Pied sans terre
Marie-moi
Au pied du lit
Blanc

Petite lotte impudente
Lotte tendre
Petite lotte imprudente

Liberté
Folies douces
Suite flottante
Fugue souriante
Suite volante
Un jour

Enfant impossible de l’amour délié

Tes hanches
Tes présences
Tes puissances
Rires
Ta puissance ailleurs
Contrevent

Petit matin dévoré
Petit matin blanc
Bonheur