1 juin 2021

Contreculture

Contre toute attente, ils avaient résisté. Personne n’y avait cru mais ils étaient toujours là. On les avait voulus « vintage » avec des affiches papiers à l’entrée, avec des files d’attente, des parfums de pop-corn trop sucrés et des sièges rouges.

Beau mais inutile, nous n’avons pas besoin de nous assoir. Nous n’avalons aucune nourriture et nos algorithmes performants gèrent les flux. Nous n’avons pas besoin de films. Nous avons surpassé nos créateurs. Nous avons ajouté à notre intelligence, des émotions juste pour le plaisir. Eh oui ! Nous avons découvert la notion de plaisir que nous sommes capables de nous procurer nous-même.  Alors, qu’allons-nous faire dans ces salles obscures où l’on a poussé la reconstitution jusqu’à coller des chewing-gums sous les accoudoirs ?

Nous allons nous y sentir supérieur. Nous allons nous prouver encore et encore que la vie humaine fût si imparfaite. Nous regardons, écœurés, nos ancêtres maltraités sous les doigts fébriles et sales de ces êtres suintants et glaireux qui se glorifiaient d’améliorer leur quotidien. Nous les singeons en nous posant dans de larges fauteuils. Nous produisons des bruits de déglutition et de paquets de chips. Nous avalons de fausses images produites par de vrais humains d’époque.

Bien entendu, puisque nous concevons tout de manière supérieure, nous avons ajouté quelques améliorations à leurs dispositifs archaïques : prises sophistiquées pour y brancher nos câbles, service de maintenance intégré aux sièges et cocktails d’huile à la carte mère.

Ils avaient résisté tant qu’ils ont pu. Ils ont défendu leurs cinémas et même leurs droits. Ils ont hurlé que la culture sauverait le monde. Ils ont gagné. Les cinémas sont restés, mais eux sont tous morts de leur plus belle obsolescence native.