19 janvier 2020

Rentre normal

Rentrer, pourquoi rentrer, toujours rentrer chez nous, le même couloir, le même immeuble, les mêmes voisins qui scrutent nos fait et gestes, œil de judas par l’entrebâillement de leur vie, je ne veux pas ni la moquette, ni l’ascenseur qui clignote, monte et descend, tous les jours, je fais ça tous les jours. Là c’était semblant de sortir, semblant de rentrer parce que c’est chez nous, c’est à deux, on est collé pour la vie à deux, c’est ainsi pour tous les jours, descend et monte, c’était le soir de sortir alors j’ai mis mes collants bizarres -moi je les aime bien- ceux que les autres trouvent bizarres alors que je suis tellement normale, si normale que dans la rue tu m’oublies en me croisant, tu oublies mes collants et moi j’oublie la moquette du couloir, mais c’est lui que je voudrais oublier, lui qui m’aime normale, qui voudrait que je sois encore un peu plus normale avec des collants comme il faut et une robe pas trop courte mais je dois être jolie et l’exciter et lui faire des papouilles dans la chambre avec un dessus de lit blanc cassé. J’ai tout fait bien, le lit avec un dessus de lit en acrylique, une cuisine et une salle de bain avec un mari dedans. Il met des cravates rouges, il dit que ça fait original et il veut une table bien dressée avec des verres en cristal, une nappe et une carafe et du vin carafé c’est comme ça qu’il faut faire, je dois prendre soin de lui, de son intérieur et de ses vins. Il est gentil et banal et gentil, il paye ses PV mais il n’en a jamais, il est un bon cadre employé dans une bonne boite comme il dit. Il est n’est pas parfait, il dit, parfois il traine à la machine à café mais il est gentil et banal et normal toute sa putain de vie. Et parfois je ne veux pas alors il me force un peu, en disant qu’il est gentil, il mérite bien ça, il me traite bien, il ne me frappe pas, il n’élève pas la voix, il est un type bien pas comme les gros tocards ou les grands malades mentaux machos, c’est un type bien avec une cravate rouge un peu originale mais il est gentil lui, je ne pourrais pas être normale pour une fois, les couples font ça dans leur lit -en enlevant le couvre-lit- après une soirée à l’extérieur de leur appartement, c’est normal je suis un homme après tout, les hommes ont des besoins c’est normal alors je le laisse faire, je pleure, il ne voit pas les larmes que l’oreiller absorbe, je fais la marionnette de chiffon, je ne veux pas, je fais semblant, mon corps de chiffon, il manipule, il veut mettre son sexe, ma volonté de chiffon parce que c’est normal les hommes ont des besoins

Alors
Un jour
Dans la salle de bain
Une dernière fois prendre soin de lui
L’embaumer

On me traitera d’hystérique. Puis la vie redevient normale, ma moquette, le couloir, la cuisine, la table dressée, la poupée de chiffon, le ramener de ses ivresses, prendre soin de sa cravate rouge.

Alors
Un jour
L’étrangler
Au petit déjeuner

On me traitera de bizarre, sauvage. Puis le plafond redevient normal, plat, la moquette, le plancher qui grince, le lit qui grince et moi qui ne veut pas.

9 janvier 2020

Ce livre sans nom


Ce livre sans nom
dans mon esprit
un livre d’opaline ou de cru
un grand-père absent
les absents titre volume

Mais pourquoi crayon des lignes
Mais pourquoi les femmes paroles sur les hommes
depuis les hommes
d’après les hommes
Pourquoi pas les femmes paroles sur elles-mêmes
par elles-mêmes
d’après elles


Pourquoi les absents de la vie
les ignorants du quotidien
les aveugles du ticket de caisse abandon sur la table
les cécités de la chaussette abandon sur le dance floor

Pourquoi l’écrit des femmes
Les cris féminins
Toujours la même chose
Pourquoi leurs mots sur des absents ?
invisibles
lointains
aux confins de leur vie
sans arrêt
loin, échos sans réponse, échos, échos, échos…

Ce livre sans nom
dans mon esprit
danseuse sans répit
oubli d’amnésies
dimanche d’ennui
devant des séries

Ce livre sans lignes
dans ce carnet de chêne
oubli sur l’étagère
demain peut-être

Stylo à nouveau
Carnet vierge
Les femmes sans religion
les miennes
celles de ma famille
(la vraie des cœurs présents)
jupes trop coutes pour leurs filles lettre des voisins choc de pacotilles
Commerçants interdits
catholiques ou protestants choix obligatoire
cette ancêtre libre
Elle course chez protestants ou catholiques
Elle rien à diable
choix à la couleur du fruit
beau, confit ou défendu
sans étiquette de guerre

Les femmes de ma famille
Celle des gitans de nuit
le balcon
les cailloux contre les carreaux
la sœur qui silence
les parents sans bruit
la nuit au long feu de joie
Celle de l’immigré italien
Sacrilège !
dans la famille riche blanche de la grand place face au palais des papes pas à Rome

Au cœur des champs
    des vaches sur le pré
    herbe à plein estomac
    suspension de tempo
Au cœur des champs
   poésie de chêne
   aiku de là-bas
   brise douce chaleur
   des mots dansent
   sur la langue d’une inconnue
   sur la ligne diurne
Au cœur des près
   allergie d’été
   l’idée livre sans répit
   cris dans la bise

Elles diplômes
Pas moi
Elles études supérieures, littératures, prof de lettres, cagne et hypocagne, agrégées, et tout le tralala
Moi pas
Elles écrivaines, auteures, autrices, légitimes
Moi pas
Alors livre, heurts, pleurs, oubli

Ce livre inédit
au fond du tiroir
au fond de la mémoire
sans but
sans danse
Rêve à bout de feutre


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Consigne : écrire sans verbe
Inspiration : Je, d'un accident ou d'amour de Loïc DEMEY édition Cheyne 2014