Elle revient la petite fille
assise face à la fenêtre. Dans la grande chambre défraichie, il y fait
peur la nuit quand la lune chuchote entre les volets de bois. Elle revient là, pour toujours, assise face à un cahier quadrillé petit format. Elle s’est installée
pour écrire un poème, elle a envie d’écrire un poème sans pouvoir dire,
les petites filles n’écrivent pas de poèmes.
La fenêtre est ouverte, elle a
placé sa table face à la fenêtre, et sa chaise devant la table, et son cahier posé sur la table. Elle est assise
sur la chaise. Je ne parviens pas à me
souvenir où était cette table l'instant d'avant. Quand je reviens dans la chambre pour déposer un
baiser sur la joue d’un enfant, d'un de mes enfants à moi, il y a un lit devant la fenêtre et un rideau jaunasse que quelqu'un a ajouté un jour. Peut-être qu'un autre enfant a eu peur des danses de la lune et des masques qu'elle dessine sur les rêves. Quelqu'un a écouté un enfant. La peinture s’écaille de plus en plus. Je crains toujours les ricanements de nuit le long des murs et les pas d’éléphant
dans le placard.
Dos à la petite fille, je la
regarde saisir des mots. De quoi va-t-elle parler ? Je ne me souviens plus des paroles. Elle voudrait parler de la vie quotidienne, de ce qui ne se dit pas. Elle choisit les camions.
Dans le placard - un placard si
grand qu’un parisien fortuné y ferait une chambre pour sans bien mais avec un peu de sous tout de même, il faut être bon payeur- il y avait une grande pile jaunie de magazines de caravane. Alors,
quand la solitude est pesante -pourquoi cette enfant se sentait si seule
dans la grande maison de famille où tant des cousins braillent dehors ?-,
elle va poser sa main sur la pile. Le papier s’effrite presque, ou bien c'est
dans mon souvenir présent qu’il devient poussière. Elle ouvre toute grandes les portes du placard pour qu’un peu de lumière pénètre. La lumière chasse les grosses
araignées noires à pâtes velues. La lumière dore la poussière. Le souffle de la petite fille donne vie aux grains mystérieux qui descendent du rayon d'été. Elle ouvre un magazine de caravane et
regardait les plans minutieux, les boites à rangement, les astuces pour faire
de chaque recoin milles possibles. Je ne sais pas ce qu’elle aime dans ces
magazines. Même pas le voyage, juste la miniature, l’intelligence de l’agencement.
Elle respire le génie de conception. Et la poussière.
Elle regarde par la fenêtre. L’arbre,
qui ne grandit ni ne meurt, est là, immuable. Il est encore là. Toujours le même.
Il n’a ni grandit ni trépassé. Il est petit. Éternel peut-être. Elle écrit les
camions, les bruits des camions, la danse des camions, l'élan des camions. Il y a un feu
tricolore dans cette histoire mais le cahier a brûlé, je ne le pourrais prouver. Avec le sentiment de la
tâche accomplie, elle ferme les pages blanches avec des lignes bleues. Je crois
que la couverture était verte, mais je n’en suis pas sûre. Le souvenir n’est qu’une
trace insalissable d’un présent. Elle descend voir sa tante, celle qui l’aime.
Elle lui montre le poème. Peut-être qu’elle le montre aussi à son père. Et à sa
grand-mère. Jusqu’à la fin de ses jours, ma grand-mère a gardé dans sa cuisine, les poèmes que je lui avais donné. Quand elle a
déménagé, elle a collé à nouveau les poèmes sur les placards. Les portes de cuisine n'étaient plus en formica blanc avec de petites lignes grises. Elles étaient blanches javel, en contreplaqué trop cher. Puis elle est morte et je n’ai
pas pleuré ma grand-mère. J’ai pleuré ma tante, celle qui m’aimait.
La petite fille
sait que ce poème-là n’est pas bon. Ils n’aiment pas les camions. Ou bien,
ses mots sont des outils mal agencés inverse des
caravanes. Elle n'a pas su leur dire la magie des camions, du quotidien
de rien du tout. Mais qui comprend les poètes à part la mort ?