24 avril 2020

Lettre d'amour


Bien cher toi,

Dans ta dernière lettre, tu me demandais ce qu’était l’amour. Étaient-ce ces battements de ta peau quand tu penses à elle ? Étaient-ce tes pensées qui s’enfuient vers lui ? Était-ce ce garçon en primaire qui faisait rougir tes joues ? Ou les seins de la voisine qui font palpiter tes entrailles ? Ou les conversations passionnées au fond d’un bar autour d’une bière dont vous partagiez le secret ? Ou l’idée de fonder une famille dans une belle maison remplie d’enfants ? L’amour est-il un homme ou une femme ? Une personnalité ? Un regard ? Un corps émouvant ?

Comme tu t’en doutes, nous avons déjà tant discuté, je n’ai aucune réponse à tes questions. Je n’y connais rien en amour. Depuis que je suis jeune, j’essaye de comprendre le monde en le regardant tourner. Dans les livres, j’ai cherché les réponses aux questions qu’esquivaient les adultes. Ils mettaient des grands silences autour de leurs doutes. Alors, j’ai tenté de trouver la meilleure façon de vivre , au cœur de la vie des autres. J’en ai fait mon métier et aujourd’hui les gens racontent me leur intime à l’oreille. Mais je ne sais toujours pas répondre à ta question. Ni à la mienne. Qu’est-ce que l’amour ?

Alors, soit on ouvre un gros manuel de philo, soit on continue ensemble la réflexion que tu as initiée. Ou bien, je pourrais te dire combien je t’aime. C’est une bonne idée. C’est bien plus facile pour moi de l’écrire que de le dire. On ne disait pas ces choses-là dans ma famille. On s’aimait de manière bien étrange comme dans beaucoup de familles d’après ce que j’ai pu découvrir. Oui je t’aime, je tiens à toi, à ta présence quand nous nous voyons. J’aime nos débats. J’aime m’ennuyer à tes côtés, j’aime ta passion. Je contemple tes gestes précis qui connaissent leur chemin. J’écoute avec bonheur quand tu parles de ce qui t’anime même si je ne comprends pas l’exact détail de tes mots. J’aimerais parfois que tu me dises plus ce que tu ressens. J’aime quand nous partageons nos séries préférées ou quand nous refaisons le monde avec un point de vue différent. Tu sais aussi accueillir sans jugements mes fragilités. Tu sais regarder mes larmes couler. Tu appris, que parfois, tu ne pouvais rien faire pour moi, si ce n’est être là. Tu es une belle âme. Merci pour cela. 

Et nos autres amours ? Nous avons parfois discuté du fait de hiérarchiser ou non, nos amours. Est-que l’amour que tu portes à ta mère est plus important que celui que tu portes à ton meilleur ami ?  La langue française nous apporte une piste : le mot amour y recouvre toutes sortes de réalité. Nous ne sommes pas obligé de choisir entre l’amour familial, celui de l’amitié ou celui du désir. Nous n’avons pas découpé l’amour comme le faisait les grecs anciens. Tous ces amours sont aussi importants dans nos vies, n’est-ce pas ? En tout cas, pour ma part je le crois. J’ai beaucoup d’amours dans ma vie, et me refuse d’en faire une hiérarchie. La seule chose que je ne peux multiplier est le temps. Mais ce n’est pas parce que je partage ma maison avec une personne, que je veux me refuser de voir ce couple d’amis, ni cet amant du passé, ni cette compagne-amie (je ne sais pas définir notre relation), ni mes enfants, ni cet ami avec qui je flirte trois fois l’an, qui fabrique des étagères supplémentaires pour ma bibliothèque et avec qui j’échange des nouvelles graves ou futiles. En t’écrivant, je me rends compte que ce n’est pas tant l’amour qui compte pour moi mais la qualité des relations que j’entretiens avec des personnes que j’aime. Voilà, ma réflexion du jour. 

Au retour de cette lettre, j’aimerais lire ton point sur la question. Et peut-être entendrais-je de vive voix ce que tu m’as écrit, si nous sortons un jour de ce confinement que nous impose la pandémie ?
Je t’embrasse

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Consigne de l'atelier d'écriture : écrire une lettre d'amour. 

23 avril 2020

Titre de livres en lien avec le confinement



>Les titres imaginaires

Le monde d’après. Dystopie ou utopie, vous le saurez en écrivant les chapitres.
La routine tue aussi le samedi.
Les écureuils de central Park vivent leur meilleure vie.
L’hôpital doit faire appel à la charité.
La farine de la colère.
Les pâtisseries de la peur.
L’ennui, œuvres complètes.
La revanche des caissières du Lidl.
Amazon ou la pluie de parasites géants.
La peur au ventre.
Les nettoyeurs de la république absolue.  


>Les titres déjà existants 

Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna (Une lettre politique à la vie, à l’amour et à la philosophie) (et pour le sexe, je vous laisse à votre imagination)

La condition ouvrière de Simone Weil (à relire d’urgence) (Ces métiers dévalorisés et pourtant vitaux)

Chômage monstre de Antoine Mouton (pas besoin de vous faire un dessin)

A mains nues de Amandine Dhée (pour ne jamais laisser les laisser de côté la quête de la liberté féminine)

L’odeur de chlore de Irma Pelatan (pour puiser dans les ressources et les blessures de l’enfance)

Fugitives de Alice Munro (pour prendre la poudre d’escampette dès que possible)

L’école à la maison. Manuel d’éducation Punk (pour tout faire de travers)

Le corps d’après de Virginie Noar (pour laisser vivre nos corps hors des contraintes normatives. Et vive la libération du port du soutien-gorge lors de ce confinement !) 

Les désorientés de Amin Malouf (pour retrouver le sens de notre existence)

Le seigneur des porcheries de Tristan Elgof (pour se souvenir que la folie n’est pas là où la croit et pour la revanche des « riens »)

Contes de la folie ordinaire de Charles Bukowski (parce que notre existence est faite d’hyper quotidien et de conneries humaines)

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Travail pour l'atelier d'écriture

21 avril 2020

Voyage immobile


Levé 8h. Des oiseaux se mettent à chanter depuis ma table de nuit made in Slovéquie. Les oiseaux viennent un peu de Chine et de France et chantent presque comme ceux du jardin d’avant. J’enfile mes chaussons de Chine et mon sweat de Chine avant de descendre un escalier d’un bois de provenance inconnue. J’ouvre un tiroir suédois, attrape un mug chinois. Je verse de l’eau de la ville dans une bouilloire rouge et chinoise. J’appuie sur son bouton qui devient bleu. Et j’attends la tête dans le [destination bien connue mais que le surmoi censure] que l’eau, dépolluée des boues d’une ville en arrêt soudain, chauffe. Le bouton fait toc. Je retire la bouilloire de son soc, et fait couler l’eau chaude sur un thé de Chine. Je n’ai pas envie de voyager en Chine. J’en ai une image floue faite de néon et d’entrepôt triste. J’y vois de longues rues clignotantes de publicité, de boutiques aux éclairages blanc et scintillants et de boutiques sombre regorgeants d’objets. Oui, j’ai vu tout ça dans le quartier du Sentier ! Je sais comme est la Chine !

Bon allons, dans la salle à manger au décor suédois hétéroclite, fait de meubles récents, de déstockages et de bonnes affaires sur le bon coin. Une exception : ces deux chaises viennent d’une ressourcerie directement depuis les années 60, rouille comprise. Les jours de télétravail, je navigue jusqu’au bureau polonais, pour y ouvrir un ordinateur chinois. Oui, parce que pour nous autres, les européens français, tout parait fabriquer en Chine mais, au fond, on n’en sait rien, on ne nous dit rien. Pourtant tout le monde sait que l’électronique et le textile sont fait en Chine, le télé-conseil au Maroc, les meubles dans un pays glacial plaqué de lambris de pin clair et la main d’œuvre du bâtiment vient des pays de l’Est. 

Bien télétravaillons depuis ma salle à manger lilloise avec un soleil de Marseille. Ah ? Vous ne saviez pas que le soleil était fabriqué dans la ville phocéenne et importé en haut de France par montgolfière ? On ne nous dit pas tout ! C’est comme ce virus, là, il vient de Chine, là, par conteneurs directement importés de laboratoire secret où l’on fait frire des pangolins sous la lune, dans de grands chaudrons numériques. 

Alors que, ma bonne dame, les livres, vous savez d’où ils viennent les livres ? De vrais pays. Je peux vous le dire, j’en ai dans ma bibliothèque. Même nos ministres, là, ils disent que les libraires ce sont des héros privés de sacrifice pour faire venir la culture à tous (mais pas trop à la banlieue du 93, là-bas, les gens sont des irresponsables qui veulent survivre en allant au marché et faire travailler au noir, alors qu’ils trafiquent les aides sociales dans des logements qu’ils payent même pas. Pensez donc ! Pour ces gens-là, ils ont pas les même besoins que nous, ils n’ont pas de bibliothèques à caser dans le salon, ils sont très adaptables, ils sont capables de vivre à sept dans un appart fait pour trois personnes). Dans ma bibliothèque, il y a des livres de vrais pays cultivés : l’Amérique, le Japon, la France, et la Belgique (enfin ceux qui causent la France pas les autres, là, qui éructent un truc haché). 

Quoi ? Que vois-je ? Qui a mis ce livre dans ma bibliothèque ? « La place de la parole noire » ?

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Atelier d'écriture : voyage immobile dans son logement